La troisième gifle

BRUXELLES Le principe de territorialité. C'est au nom de cette conviction vieille comme les Fourons que la Flandre, ce jeudi, a infligé ce que les francophones perçoivent comme une troisième gifle en quelques semaines. Après le vote unilatéral sur BHV, après le refus de nommer trois bourgmestres de communes de la périphérie, la commission de l'Enseignement du Parlement flamand a voté, hier, sa réforme de l'inspection scolaire. Lorsque le texte aura franchi l'étape du vote en séance plénière, la Flandre aura son mot à dire dans tous les établissements scolaires situés sur son territoire. Y compris dans la périphérie, donc, et dans les écoles francophones qui craignent, désormais, les pires mesures, y compris au niveau du programme enseigné aux enfants. La mesure doit entrer en vigueur dans un peu plus d'un an, à la rentrée scolaire de septembre 2009. Le vote a été acquis, ce jeudi, à l'unanimité des membres présents. Le représentant de Groen, Jef Tavernier, a pourtant déjà fait savoir qu'en séance plénière, les siens ne voteront pas le texte. Cette position rappelle celle adoptée le 7 novembre lors du vote en commission sur BHV. Annoncé et redouté depuis plusieurs semaines, ce vote, les partis francophones ont tout fait, en coulisses, pour essayer de le reporter. En vain. La riposte du Sud n'a donc pas traîné. Dès l'issue du scrutin connue, le Parlement de la Communauté française a été convoqué, pour 16 heures. Les députés ont, de nouveau, voté une proposition de motion en conflit d'intérêts (voir ci-dessous), comme ils l'avaient déjà fait après le vote sur la scission de BHV. Mais sans couac entre eux, cette fois. Droit du sol Dans la pratique, le nouveau décret concerne huit écoles fondamentales, situées à Crainhem, Wezembeek-Oppem, Linkebeek, Drogenbos et Rhode-Saint-Genèse. Au total, quelque 2.400 enfants francophones y sont scolarisés. La ministre de l'Éducation Marie Arena (PS) a rappelé hier que ces écoles, ainsi que leur contrôle pédagogique, sont placées depuis 1977 sous la compétence du ministre francophone de l'Enseignement, à la suite d'un protocole d'accord conclu alors entre les deux Communautés. Selon elle, "les dispositions légales édictent que les différents législateurs et gouvernements régionaux ne peuvent porter atteinte au caractère bilingue des communes bruxelloises, ni aux garanties offertes aux francophones, néerlandophones et germanophones résidant dans des communes à statuts linguistiques spéciaux ". Jeudi dernier, la commission du Parlement flamand avait procédé à des auditions de directeurs d'école concernés. Ils avaient alors souligné l'impossibilité de faire inspecter des établissements scolaires par des personnes n'ayant pas la connaissance nécessaire. En vain. Désormais, l'existence même de ces écoles francophones dans les communes à facilités est menacée. Le droit du sol contre le droit des gens, donc. Même si les gens en question sont des enfants... Christian Carpentier La machine est en route Par Christian Carpentier Le doute, jusqu'alors, était encore permis. Le doute et l'espoir, aussi. Au fond, peut-être que tout ça - on veut dire ce vote sur BHV du sinistre 7 novembre - n'était qu'une lourde erreur. Une grosse faute de parcours. Un de ces moments où tout s'emballe, où on sombre dans la pire des folies, juste par orgueil. Parce qu'on a menacé. Qu'on craint de perdre la face. Qu'on n'ose plus faire demi-tour. Et qu'on vote, en fermant les yeux. Puis qu'on le regrette tout de suite. Ce jeudi, pourtant, le doute s'est envolé. Le doute et l'espoir, aussi. Et autant se faire à l'idée : il ne reviendra plus. Plus jamais. Non, le 7 novembre n'était pas une erreur. C'était une étape. Condamnée à se répéter. Et à aller sans cesse crescendo, sur un chemin qu'on devine - qu'on redoute - encore aussi long qu'impitoyable. Non, la Flandre ne veut plus le dialogue. Elle veut recommencer à avancer, sûre de son fait et de son bon droit. La machine est lancée, et plus rien ne l'arrêtera. Plus rien, pas même la crainte de compliquer, par son vote d'hier, un peu plus encore la formation d'un gouvernement fédéral. Le droit du sol contre le droit des gens. Le refrain est connu. Même si la tessiture dans laquelle le Nord l'entonne, de plus en plus souvent et de plus en plus fréquemment unanime ou presque, le rend assourdissant. La Flandre est en marche, de nouveau. Un francophone averti en vaut deux. Tant mieux, ce ne sera pas de trop pour concocter la riposte. Du moins quand ces mêmes francophones arriveront, enfin, à refaire passer le sens de l'intérêt général avant celui de leurs propres stratégies. La Flandre libère sa haine ? Mais que font-ils d'autre entre eux depuis six mois, les sudistes ? Croient-ils vraiment qu'ils sont en train de livrer au Nord des raisons de mieux les considérer - on n'ose écrire de les respecter ? Le pays est à l'arrêt, la Flandre brûle les feux, et le Sud, lui, continue ses petits jeux médiocres, ses Clochemerle indignes, au mépris des signaux et des besoins du citoyen. Les mêmes partis craignent le retour aux urnes ? Ils ont raison. La déconfiture risquerait d'être générale. Et pour être honnête, on peinerait de plus en plus, cette fois, à la trouver injustifiée.

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