Le soldat et le ministre Flahaut

Publié le : 30 août 20214 mins de lecture

SCHAERBEEK Quand un soldat du 6 juin 1944 rencontre un ministre de 2007. Il y a 15 jours, nous rencontrions le pensionnaire, très chouchouté par les infirmières, d’une chouette maison de repos à Schaerbeek. Un Britannique resté anglais bien qu’en Belgique depuis la fin de la guerre. Au matin du 6 juin 1944, Dennis Edgerton, incorporé au 6th Northumberland Fusiliers, débarquait sur les plages de Normandie. Il est, à notre connaissance, le seul soldat allié vivant en Belgique ayant participé au sol au 6 juin 1944. Dennis est très malade. « La prochaine fois qu’on se verra, dit-il avec flegme, ce sera au cimetière. » Il fête, ce dimanche, ses 80 ans. Vendredi midi, Dennis a reçu dans sa chambre la visite du ministre belge de la Défense. Les deux hommes ont beaucoup parlé. Au départ d’André Flahaut, les yeux de Dennis étaient assez humides. Dennis ajoutait qu’il n’avait pas mérité cela. Il recevait cette visite comme un hommage rendu à travers sa petite personne, à ceux de toutes nationalités qui sont tombés et pas seulement en Normandie ni le 6 juin.
Entre un Conseil des ministres et une cérémonie d’hommage à Beauvechain, André Flahaut avait fait un crochet par une librairie. Avant la Belgique début septembre 1944, les fantassins anglais avaient pris part à la campagne de France. Il n’était que juste que le soldat, pour ses 80 ans, reçoive le champagne et une bouteille de Nuits Saint-Georges.
Hier, Dennis, qui reçoit des lettres des quatre coins du monde, avait du courrier du 47e Royal Marine Commando, du Green Beret Royal Marines et d’un ancien GI, Chuck Harris.
André Flahaut qui n’a que 51 ans n’a pas connu la guerre. Dennis lui raconte son 6 juin. « On a débarqué par marée descendante. L’objectif était Arromanches : on était à 8 km. Le public croit qu’on avançait en rangs serrés. C’est rien de tout cela : on cherchait chacun le trou le plus profond. Il n’y a que mon derrière qui dépassait. On avait son balluchon, son fusil, des fusées et 250 cartouches. Ceux qui perdaient pied, c’était fini. C’est égoïste mais on s’occupait d’abord de soi. Tout ce à quoi on pensait, c’était à sortir de l’eau qui était glaciale, et de creuser son trou. On ne savait pas le guêpier dans lequel on allait tomber. On pensait que tout était bien préparé mais rien ne s’est déroulé selon les plans. Théoriquement, on avait des beach masters pour nous guider dès qu’on serait sur les plages mais on ne les a jamais vus. C’était pas la marche vers la gloire : c’était le foutoir. On ne savait pas où on était. Les régiments tournaient en rond. »
Le 6 juin 44, Dennis a 17 ans et 3 mois. Sa mère ne voulait pas qu’il s’engage. Il l’a fait pour son père tué sous les bombes l’année précédente. Et qui s’était battu, en 14, dans les Flandres. En 1945, Dennis tombe d’amour pour une Ixelloise. Le couple fut formidablement heureux. Dennis parle. Avec cet accent, oui, qui fleure bon la liberté. Notre liberté depuis 62 ans. Des larmes coulent jusque sur le menton. Dennis Edgerton sort un mouchoir. « M. le Ministre, je ne m’attendais pas à recevoir la visite d’un ministre de Belgique. »
Une petite fille offre des fleurs. Dennis raconte qu’en septembre 1944, Bruxelles fut leur première grande ville rencontrée depuis la Normandie. Il garde le souvenir d’un accueil magique. Cet Anglais provenant d’un faubourg de Londres raconte qu’en entrant en Belgique du côté de Leuze, une jeune fille qui applaudissait les soldats est tombée de la fenêtre et s’est cassé la jambe. « La première blessée de l’après-guerre », rigole André Flahaut, ému.
Voilà. Rien d’autre à dire. Bon anniversaire, M. Edgerton. Et merci.

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